Après plusieurs années passées à l’étranger, un homme donne rendez-vous à une femme dans une maison qu’il vient de louer… Construite autour de ce couple, l’histoire est serrée, faite de paroles et de silences, de «riens» imperceptibles mais qui «déplacent» tout. À travers l’étude d’une obsession amoureuse, illustration de la lutte entre le provisoire et le définitif, la pièce avance, dans une tension permanente, vers un jeu de bascule émotionnel dont on ne peut dire qui le mène exactement… On plonge alors à l’intérieur des corps, au plus près de l’intime, où se côtoient à la fois la frustration et le désir, le morbide et l’espoir, pour une autopsie implacable du désordre amoureux. «Il faut toujours, disait François Truffaut en paraphrasant Hitchcock, filmer les scènes de meurtre comme des scènes d’amour et les scènes d’amour comme des scènes de meurtre». Peut-être qu’au théâtre faire l’amour et mourir ne font qu’un ? C’est en tout cas un des thèmes de «La chambre vide» qui, à l’aide d’une écriture épurée, presque clinique, nous dit deux ou trois choses sur la séparation, l’absence et le temps.
Si tu fréquentes, comme nous, le délicieux Théâtre de Poche niché dans le quartier de Bonnefoy, tu connais donc son directeur, Didier Albert. Toujours souriant et chaleureux, il a l’accueil énergique et bavard. Depuis presque 20 ans, il a fait de son lieu un nid douillet où l’on se sent bien, que ce soit côté public où sur scène. Je peux te le confirmer, y ayant joué la quasi totalité de mes pièces !
Didier n’est pas que directeur de théâtre. Que nenni. Cet homme discret est aussi un auteur talentueux et un metteur en scène rigoureux. En ces points, sa pièce La chambre vide lui ressemble.
Elle fut créée il y a une dizaine d’années (je l’ai vue deux fois, Delphine y jouait avec un autre comédien, Pascal Lebret). J’ai le souvenir d’un texte fort qui te cloue sur ton siège. De mots en maux, je me souviens d’un duel qui résonne et raisonne dans ta tête comme des battements de cœurs. D’un duo où les silences et les respirations rythment une atmosphère presque suffocante.
Didier Albert écrit bien. Il écrit beau et il écrit juste. Ses deux personnages portent son texte tout en finesse et douleurs. On se retrouve dans l’homme. On se voit dans la femme. J’ai hâte de découvrir cette nouvelle version !
L’interview à trois voix
La Vi(ll)e En Rose : Didier, revenir à ce texte est une belle aventure. Sans comparer avec la première version, que peux-tu nous dire du duo Delphine/Samuel ?
Didier Albert : C’est un vrai plaisir pour moi de revenir sur ce texte, de le redécouvrir. J’ai d’ailleurs du mal à parler d’une reprise, car c’est vraiment une nouvelle aventure. C’est Delphine qui m’a présenté Samuel, elle avait déjà travaillé avec lui sur Yvonne, et force est de constater que leurs deux voix et leurs deux corps fonctionnent parfaitement ensemble. C’est évidemment essentiel dans une histoire de couple.
LVER : Quels liens y-a-t-il entre toi-auteur et tes personnages ? Comment t’en sens-tu proche ?
Didier : Louis Aragon parlait du mentir-vrai à propos de ses livres. L’histoire de La Chambre Vide est inventée, mais avec des moments empruntés à la vie. À ce titre, les deux personnages de la pièce prononcent des paroles qui peuvent m’être très personnelles. Et d’autres pas du tout. En tout cas j’essaie de les comprendre. Ça me paraît essentiel afin d’éviter le manichéisme. Je ne les juge pas, je les observe et j’essaie de traduire, avec rigueur et simplicité leur impossibilité à se rejoindre.
Je pense qu’ils ont sans doute vécu la même histoire, mais qu’ils n’ont pas les mêmes mots pour l’exprimer.
LVER : Après cette semaine, la pièce se jouera pour la Saint Valentin c’est culotté ! Y aura-t-il un tarif spécial retrouvailles (rires) ?
Didier : Pour ce qui est de la Saint Valentin, c’est drôle en effet, mais c’est vraiment le pur hasard… Mais je sais aussi ce que l’on dit du hasard…
Didier : Lors d’une répétition, le comédien n’avait pas sa veste, habituellement posée sur un des fauteuils et d’où il doit extraire une lettre… J’ai donc donné l’idée, afin d’éviter cette mauvaise surprise en représentation, de dissimuler ce papier dans un des livres posés sur le bureau près de lui. (Ce sont des livres offerts par un voisin du théâtre). Joignant le geste à la parole, je me saisis alors du premier bouquin qui me tombe sous la main, et en ouvrant la couverture, je trouve justement une lettre oubliée là ! Un homme y écrit à une amie qu’il n’a pas revue depuis quelques temps! Qui parlait de hasard ?!
Didier aime les librairies de la ville, des plus connues aux plus modestes, ainsi que les disquaires afin d’y trouver des vinyles rares dont il est friand… Pour l’apéro, il se pose au bar Le QuinQuina. Et pour prendre l’air entre deux côtés cour(s), on le trouve aussi côté jardins : Grand-Rond, Jardin Royal ou le Jardin des Plantes…
La Vi(ll)e En Rose : Delphine, c’est toi qui as proposé le rôle à Samuel. Je crois que n’est pas votre première collaboration scénique ?
Delphine Bentolila : Nous avons en effet déjà travaillé ensemble avec By Collectif dans la pièce Yvonne d’après W. Gombrowicz que nous avons jouée au Festival d’Avignon en 2016. J’avais très envie de retravailler avec Samuel et j’étais persuadée que sa présence, sa voix et la sensibilité de son jeu correspondraient au rôle. Je savais qu’en lui proposant la pièce, il serait tout de suite séduit par l’écriture de Didier. Et j’avais l’intuition que notre duo fonctionnerait bien pour raconter cette histoire.
LVER : Comment appréhendes-tu le rôle une dizaine d’années après sa création ?
Delphine : Je l’appréhende avec un plaisir immense ! D’abord parce que le travail de direction d’acteur de Didier est un pur bonheur ! Sa précision, sa rigueur et sa façon bien à lui d’être toujours avec nous sur le plateau, sont synonymes d’un vrai confort et d’une grande liberté pour l’acteur. On se sent à la fois protégé et libre.
C’est curieux mais j’ai vraiment l’impression de découvrir le rôle à nouveau. En tout cas le sentiment d’une re-création.

Photo © Agence Paris Texas
La Vi(ll)e En Rose : Samuel, quelle fut votre réaction à la première lecture du texte de Didier ?
Samuel Mathieu : J’ai été immédiatement saisi par la précision d’écriture, par le choix des mots et par son épurement. Une écriture qui m’a relié à certains de mes auteurs favoris, comme Marguerite Duras. Une écriture chargée de ses silences, des mots qu’elle ne dit pas. Après, le comédien a été séduit par le propos, par la musique de la pièce et par le cheminement émotionnel des personnages.
LVER : Que pouvez-vous nous dire de votre personnage ?
Samuel : C’est un homme arrêté, figé dans le passé, qui n’a pas pu tourner la page, dont l’existence est pleine de l’être aimé. Il y a une sorte d’immaturité dans son immobilité. Il a passé de nombreuses années bloqué dans la souffrance du manque, et dans l’espoir de retrouvailles, au point d’en avoir fait tous les repères de son existence.
LVER : Et de celui interprété par Delphine ?
De quoi remplir ton agenda
La chambre vide, texte et mise en scène de Didier Albert, avec Delphine Bentolila et Samuel Mathieu, au Théâtre de Poche du mercredi 24 au samedi 27 janvier, puis du mercredi 14 au samedi 17 février.
La Vi(ll)e En Rose y sera demain pour cette première prometteuse !
Photos Nicolas Dandine. Affiche Alix Mercier.
Pas de commentaire