L’écrivain marocain Abdellah Taïa est connu pour ses prises de position défendant l’homosexualité et la liberté individuelle au sein de son pays. Le titre de son dernier roman, Un pays pour mourir, fait écho au personnage public.

Un pays pour mourir – Éditions Le Seuil – 164 pages – Parution : janvier 2015 – Couverture : © Le Seuil – Prix : 16 € –
Abdellah Taïa signe un nouveau roman marquant tant sur fond de Maroc que sur fond de la condition de la femme venue de l’Atlas pour tenter de décrocher l’eldorado dans la capitale française, Paris. Paris ville de tous les fantasmes qui au fur et à mesure des pages se révèle plus comme un miroir aux alouettes que comme un paradis.
Car ces femmes qui veulent s’émanciper, si elles connaissaient l’humiliation, le viol, le mariage forcé, l’islam détourné au seul profit de l’homme, retombent systématiquement dans l’esclavage sexuel au nord de Paris et des grandes métropoles. Tous les personnages d’Abdellah Taïa sont touchants et attachants, que ce soit Zahira la jeune femme dont le père s’est pendu et qui a choisi la fuite croyant peut-être naïvement accéder à la liberté, Aziz alias Zannouba, le travesti qui se fait défoncer chaque nuit dans les bosquets du bois de Boulogne par des grands patrons, des hommes influents, des types bien sapés, des politiques qui ne s’assument pas ; et que dire du musulman que l’auteur dénonce qui encule à tout va mais vit le jour dans le non-dit et dont le rêve est de se faire opérer (je veux perdre ma bite et mes couilles) parce qu’il se sent femme dans sa tête comme dans son corps depuis toujours même quand ses nombreuses sœurs prenaient soin de lui petit garçon du bled et le maquillaient. Alors il traîne ses talons aiguilles, sa perruque, son maquillage et son petit cul pour engranger le fric nécessaire à sa métamorphose et puis Zineb de laquelle on ne sait pas grand-chose sinon qu’elle a disparu. Il faudra dévorer les 160 pages de ce roman poignant pour découvrir ce qu’il lui est arrivé.
À travers des fragments de vie qui s’entrechoquent violemment les uns contre les autres, Un pays pour mourir suit ces émigrés, rêveurs et invisibles, dans leur dernier combat. Des destins fracassés au cœur d’un monde post-colonial où trouver sa vraie place, avoir une deuxième chance, s’avère impossible.
Abdellah Taïa poursuit la route qu’il a empruntée depuis le début de son écriture. Plus qu’un écrivain il est aussi un excellent analyste et observateur sociologique de la condition des femmes comme des hommes issus de pays qui s’annoncent ouverts et tolérants, qui demeurent en réalité dans le non-dit, dans des pratiques que la religion interdit mais où les hommes dominés par leur queue outrepassent. C’est aussi une réflexion subtile et sans détours sur le devenir, le quotidien réel d’humains qui pensent à tort que tout est réalisable dès lors que l’on accède aux pays occidentaux, en apparence plus libres, moins coincés, prêts à offrir une dignité. Un leurre. Un mensonge. La descente aux enfers assurée. Des djinns totalement empoisonnés.
Texte fort, sec et violent comme la vie de nos frères et sœurs du Maghreb. À lire pour mieux réfléchir. Jamais vulgaire, Un pays pour mourir, est franc, réaliste et traduit nos travers sans jamais nous culpabiliser. Car Taïa ne s’inscrit jamais dans le jugement, uniquement la révélation de faits réels pour tenter de mieux comprendre les difficultés et la complexité de l’âme humaine.
Christophe Maris, Journaliste-Écrivain-Expert communication
© Maris Conseil – mai 2015 – Tous droits réservés –
Photo de Une par Nathalie Gautreau
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